Interview extraite du
Guide du chanteur 2006
(éditions du Puits Fleury)
par Lise Bouilly


Interview
par Lise Bouilly

Qui fréquente les ateliers d’écriture de la Maison du Passage ?
Tous les profils sont bienvenus. Cela va de l’amateur qui aime l'écriture et la chanson, au professionnel, chanteur ou compositeur pour qui le travail d’écriture n'est pas toujours évident, en passant par l’auteur qui souhaite se renouveler. Je ne fais pas de distinction entre les un(e)s et les autres. Chacun peut écrire à partir du moment où l’envie est présente.

Quel est précisément l’intérêt d’un atelier d’écriture ?
Le groupe ! C'est la richesse de l'écriture en atelier. Le groupe d'écriture est un "miroir" dont se saisit l'auteur, comme un danseur, une danseuse qui capte son reflet dans la glace pour corriger ses mouvements. Après la phase d'écriture, les textes "restitués" en public, lus, chantés à haute voix, suscitent des réactions. Acteurs et spectateurs, on apprend à se "regarder" sous des angles nouveaux (et sans jugement !). On affine son style sans pour autant se fondre au groupe ou se "marcher sur les pieds" (encore une histoire de danse !). C'est souvent sur la générosité, l'inventivité, l'écoute de la personne qui accompagne le groupe que repose la qualité des échanges mutuels. Ce qui fait de nous des auteurs accoucheur(se)s de mots, d'émotions et d'idées, plutôt que des "profs" ou des "formateurs".

Concrètement, comment s’organise un atelier ?
L'atelier s’organise autour de jeux d'écriture et d'observation souvent inspirés des oulipiens que j'ai eu la chance de rencontrer. J'en fais ma sauce personnelle et je m'adapte aux "respirations" du groupe. J’aime bien les jeux à formes dites "fixes” qui consistent à écrire un texte suivant des mots, des sons imposés, des structures littéraires ou musicales ou des thèmes donnés ("le temps qu'il fait/le temps qui passe", "paroles de rue", "odeurs et saveurs". J'aime aussi les jeux "à procédure” qui offrent des formes et des contraintes moins cérébrales. On écrit en marchant, ou assis à la terrasse d'un café, ou les yeux fermés, se laissant porter par une musique. On privilégie alors un travail d'observation sensorielle, émotionnelle... Ces divers jeux et contraintes, en réalité "libératoires", nous guident sur des chemins de création que l’on aurait pas empruntés via l'écriture solo. Mais en atelier, on ne fait pas qu'écrire ! On écoute aussi beaucoup de chansons selon un rituel très apprécié des participants.

N’y-a-t-il pas là un risque de “formatage” de la création ?
Non, au contraire ! Les gens viennent avec ce qu’ils sont déjà : leur culture, leurs idées, leurs envies. Les jeux d’écriture ne font que réactiver les ressources créatives de chacun. D’ailleurs, avec les mêmes contraintes, on obtient toujours des textes très différents ! Quant à moi, encore une fois, je ne “forme” pas, j’accompagne, je montre un chemin, j’encourage, tout en restant disponible pour répondre à des demandes précises. Chacun et chacune est libre d'en faire l'usage de son choix.

Quelle est votre définition d’une chanson réussie ?

Une chanson est une maison à trois piliers : un texte, une musique, une interprétation. La "densité" du texte est importante (car il faut dire un maximum de choses avec un minimum de mots !) et "distribuer du sens". D'abord : une “sensation”, grâce des mots, des sons qui s'entrechoquent, provoquent des émotions, une poésie. Ensuite : une "direction", des indications. Et enfin : une "signification" qui raconte une histoire, éclaire un message, réunit (ou sépare...) des gens autour d'une idée force. De même, sous sa forme la plus basique, "le refrain", à la plus originale, le "motif", la caractère répétitif du texte l'inscrira au rang de la chanson. A tout ça, j'ajouterai le "contexte". Une chanson ne tient vraiment debout que lorsqu'elle colle à une réalité sociale et émotionnelle forte. "Lili Marlène" serait restée une simple chanson d'amour (et c'est déjà pas mal !) si la voix de Marlène Dietrich n'avait pas traversé deux peuples en guerre, réunis par le même désir de paix.

Vous écrivez aussi pour des artistes : comment travaillez-vous ?

Ca commence toujours par une rencontre humaine. J'ai commencé à écrire pour le groupe Bahasabé et je ne pensais pas écrire pour d’autres artistes, comme Dikès ou Mon côté Punk. Je n'ai pas besoin de connaître la vie intime d’un(e) artiste pour lui écrire une chanson, mais de quelque chose qui me touche en elle, en lui : l'humeur du moment, une musique, une conviction profonde, un sourire, une blessure ou une envie de dépasser tout ça. Si un texte ou un mot est refusé. Pas grave. La matière d'un texte n'est jamais perdue : un jour ou l'autre, elle refait surface... De toutes façons !

Comment vivez-vous la collaboration avec un compositeur ?

Forcément ça fait avancer ! Car les musiciens, chanteurs et chanteuses parlent "sonorité, métrique, interprétation", si importants pour réussir une chanson. Je pense à Vanessa Caracci (Squaw) et ses rythmiques de mots peu ordinaires, ou à Lola Baï qui fabrique en amont des mélodies au piano toutes douces... et qui devient un chat sauvage sur scène ! Au fil du temps et des interprétations, apparaissent des clés que je n'avais pas envisagées au départ et démontrent que le "sens" d'une chanson ne se résume pas à l'écriture du texte. Autre exemple : en promenant ma voix dans "Ouvre-boites", virée poétique où m'ont emmené Ignatus et son piano, j'ai alimenté de nouvelles façons d'écrire. Et de nouvelles envies...